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27/10/2013

Télémaque (18)

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source : http://ulyssesseen.com

Mulligan voit bien qu'il est allé trop loin dans sa mise en boîte et dans sa condescendance - plus particulièrement, il a conscience qu'aussi débraillé et déprimé que semble Stephen maintenant, ce dernier a un énorme potentiel d'écrivain, au moins comme auteur d'épigrammes, et il veut se trouver du bon côté de cette force. Il suppose que Stephen pourrait peut-être obtenir de l'argent de Haines avec l'idée du "miroir fêlé de larbin", et il tente d'enrôler Stephen dans son programme d'"hellénisation" de l'Irlande (la transformation de Mulligan en Apollon par Rob permet d'apprécier ce que le format de la bande dessinée rend possible à partir du roman).

Que signifierait "helléniser" l'Irlande ? Quelques pages plus haut, j'ai évoqué la crise d'identité irlandaise au tournant du siècle : devait-elle se tourner vers son passé historique pour sa richesse culturelle ? devait-elle accepter son rôle de capitale britannique ? L'intérêt de Mulligan pour les Grecs (profitez-en pour marmonner vos insinuations maintenant) suggère celui pour la démocratie, mais une démocratie d'aristocrates, avec une culture urbaine et dynamique, enracinée dans l'Antiquité. Ça n'a pas l'air si mal. Les modernistes étaient fascinés par le monde classique - après tout, nous sommes en train de lire un livre descendant de la principale histoire de l'ancienne Grèce. L'un des facteurs intellectuels significatifs pour la promotion du modernisme dans les arts fut la découverte du véritable site de Troie en 1870 (ainsi "L'Iliade" s'est elle révélée fondée sur un endroit réel et une vraie guerre ! dingue !).

Alors pourquoi Stephen n'est-il pas intéressé ? Parce qu'il s'agit de toujours regarder en arrière ? Parce qu'il y subsiste trop de pouvoir étatique ? Parce que c'est basé sur des institutions aristocratiques et dirigées par une seule classe ? Il est notoire que Joyce pensait que la forme de gouvernement la plus
supportable à vivre était celle d'un empire décadent et inefficace, parce que non-ingérent dans sa vie et dans son œuvre. Dans sa pièce de 1918 "Exils", le personnage Robert Hand dit : "Si l'Irlande doit devenir une nouvelle Irlande, elle devra d'abord devenir européenne." Robert Hand est en partie inspiré de Gogarty et son propos ne doit pas être nécessairement pris pour le propre avis de Joyce ou celui de Stephen Dedalus, mais cela dessine les contours des idées ici à l'œuvre. En bref, que doit devenir l'Irlande pour être un pays nouveau et indépendant ?

Dans la dernière vignette de cette planche, on voit se matérialiser un moment de réflexion intérieure de Stephen, tout comme quelques pages plus haut quand il pensait à sa mère. L'allusion de Mulligan au "bizutage" de Clive Kempthorpe est obscure, mais l'interprétation de Rob nous en donne une idée. Alors qu'en est-il de toute cette menace à caractère sexuel ?

22/04/2013

Télémaque (17)

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Source : http://ulyssesseen.com

L'essentiel de ce qu'il faut savoir de Mulligan est résumé dans ce bref échange. C'est le genre de type capable de voler un miroir cassé à une domestique de sa tante, pour se moquer ensuite de la laideur de la servante (NDT : en la traitant de Caliban). Joyce nous a déjà montré de tels énergumènes dans sa nouvelle des Deux galants (NDT : cf. Gens de Dublin) avec les personnages de Lenehan et Corley, qui figurent aussi dans Ulysse.

Les propos de Mulligan citant la "rage de Caliban" sont tirés d'Oscar Wilde qui, dans la préface au Portrait de Dorian Gray, dit que "la répulsion du dix-neuvième siècle pour le réalisme est semblable à la colère de Caliban à la vue de son visage dans une glace. La détestation du dix-neuvième siècle envers le romantisme est celle de Caliban ne reconnaissant pas sa propre face dans un miroir." Il est intéressant que cela suive un moment de questionnement intérieur où Stephen ne se reconnaît pas lui-même, ou plus exactement où il se demande "qui a choisi ce visage pour moi ?"

Quant à Ursula, c'est une célèbre pucelle, chef des "onze mille vierges" et probablement apocryphe. Son nom signifie "petite ourse".

01/04/2013

Télémaque (16)

littérature,roman,illustration,irlande,dublin,james joyce,ulysse
Source : http://ulyssesseen.com

"Qui a choisi ce visage pour moi ?"

Bonne question, qui nous renvoie aux souvenirs que Stephen a de sa mère, à l'image de la baie, au rasoir. Stephen lance une question métaphysique sur ses origines, mais il réfléchit aussi à son identité : est-ce le visage de sa mère, de son père ? a-t-il une tête d'Irlandais, de catholique, de poète ?

L'une des possibles grilles de lecture d'Ulysse est la quête d'identité, ou la façon dont les gens se définissent eux-mêmes. Quelques-uns des personnages les plus médiocres de ce livre savent intuitivement qui ils sont, tandis que parmi les meilleurs, certains n'en ont pas la moindre idée, à l'instar de Stephen.

Ce passage me fait penser à la chanson des Talking Heads "Seen and not seen" ["Vu et inaperçu"] : "Il verrait des visages dans des films, à la télé, dans des magazines et dans des livres..."