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11/12/2011

Télémaque (8)

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Source : http://ulyssesseen.com

Nous avons déjà parlé de Stephen « Dédale », de ce grand architecte et de tout ce qui tourne autour, et le dessin de Rob nous fait comprendre que Stephen est comme pris dans un labyrinthe. Tout en se moquant du nom hellénique de Stephen, Mulligan songe à un futur voyage en Grèce, tandis que Stephen se focalise sur l'instant présent et sur un hôte importun (NDT : Haines). Stephen irait-il à Athènes si la tante de Mulligan ne payait pas le voyage ? Non. C'est pourquoi Mulligan le traite de « maigrichon de jésuite » et d'immature (NDT : la traduction de 1929 donne « gnognote de jésuite »). Stephen ne saurait profiter d'une générosité aussi déplacée, fût-ce pour un beau voyage.

Mulligan insiste lui-même sur le lien entre ce voyage et sa raillerie au sujet de l' « absurdité » du nom grec de Stephen. Mais au juste, pourquoi Mulligan parle-t-il des Grecs ? Je suis convaincu que Joyce cherche ainsi à signaler au lecteur qu'il se trouve simultanément dans la Grèce homérique et dans l'Irlande de l'auteur. L'intérêt de Mulligan pour les Grecs est aussi le signe de sa haute éducation, voire de son homosexualité selon quelques hardis exégètes.

Stephen est un artiste, et il cherche sa voie. Pour beaucoup d'artistes dublinois, il était logique de partir à Londres, car c'était l'endroit où trouver des éditeurs et des lecteurs, le lieu où la littérature anglaise trouvait ses racines, et c'est là que se trouvait l'argent. Au contraire, en 1904, dans un grand mouvement d'éveil de la celtitude en Irlande, de nombreux artistes se tournèrent vers la culture originelle de leur île ; pensons à John Millington Synge, ou aux remarques acerbes de Miss Ivors envers Gabriel Conroy dans Les Morts. Mulligan propose une troisième voie, allant des traditions du monde ancien (NDT : celtique) au monde grec, en passant par l'histoire de l'Empire romain, moins stimulante au plan culturel.

Nombre d'articles ont été et continueront à être écrits à ce sujet, mais pour l'instant, ouvrons une parenthèse pour dire que la notion de monde classique était très importante pour toutes sortes d'artistes « modernes » - des découvertes archéologiques à la fin du XIXème siècle rendirent ce terme soudainement bien plus concret, ce qui amena beaucoup d'artistes d'alors à se tourner vers le classicisme, la pureté et l'humanisme de son art l'emportant sur ce qui était pris pour une marque de décadence et de chauvinisme propres à la fin de l'ère victorienne. Et c'est bien de là que part Ulysse, après tout (bien que, soit dit en passant, Joyce lui-même ne savait pas grand chose du grec ancien ou moderne ; mais pour sûr, il savait son latin !).

On pourrait s'attendre à ce que Stephen reçoive l'invitation de Mulligan avec plus d'entrain, mais celle-ci, comme nous le verrons, est totalement hypocrite. D'ailleurs, Télémaque ne retourne pas à Troie pour y retrouver son père...

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