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06/05/2012

Télémaque (10)

 

littérature, roman, illustration, irlande, dublin, james joyce, ulysse
Source : http://ulyssesseen.com

Stephen vient de se plaindre de Haines et de son cauchemar. Mulligan change de sujet, pour revenir à sa pique sur l'"hellénisation".

Mulligan propose moqueusement que la "nouvelle couleur artiste" pour les poètes irlandais soit le vert-morve (NDT : "vert pituite" dans la traduction de 1929, allusion probable aux quatre humeurs décrites par Hippocrate). La couleur verte n'est pas anodine pour les Irlandais, surtout en 1904, période à laquelle les Lois pénales (qui réprimèrent le catholicisme et les symboles de l'identité irlandaise) sont encore présentes dans les mémoires. A cette époque, l'identité irlandaise et son avenir sont mis à toutes les sauces. On voit émerger une "école" de spécialistes et d'artistes revenant aux racines de la culture irlandaise pour fonder l'Irlande future - et les gens de se remettre à apprendre le gaélique et à lire les anciens écrits poétiques irlandais. Mulligan se moque ouvertement de tout cela. A la place, il se tourne vers la Grèce antique, pensant peut-être à un nouvel âge classique irlandais. Mais cela n'intéresse pas davantage Stephen. Je pense que, plutôt que de contempler l'Histoire dans un rétroviseur, Stephen porte son regard vers la nouvelle capitale artistique, Paris.

Dans la deuxième vignette, Rob a dessiné Mulligan et Stephen dans une étrange posture. Stephen a l'air surpris, interrompu au beau milieu d'une phrase, tandis que Mulligan porte la main à l'une des poches de Stephen. Plus exactement, il plonge "la main dans la pochette de Stephen". Moment intéressant, où la bande dessinée nous permet d'illustrer le langage corporel. Mulligan envahit, en s'avançant ainsi, l'espace vital de Stephen. "Thalatta ! Thalatta !" signifie - ça n'a rien de surprenant - "La mer ! La mer !". C'est une citation de Xénophon. Je vous laisse chercher... (NDT : mais moi, je suis encore plus serviable que Mike, alors je vous envoie ).

Dans le manuscrit de Rosenbach, la première évocation de la mer par Mulligan, à cet instant, est de dire qu'elle est "notre "grande" et douce mère". C'est bien ce qu'on lit de la main même de Joyce, c'est assez clair. Ces mots sont répétés quelques lignes plus loin. Mais dans sa correction pour la première édition, Joyce précisa qu'il voulait que ce soit une "grise et douce mère". La raison de cette subtile allusion à Athéna, déesse aux yeux gris, protectrice d'Ulysse, demeure par ailleurs obscure.

Et en ce qui est des Grecs, "Epi oinopa ponton" signifie, d'après Gifford, "sur la mer sombre comme le vin", qualificatif fréquent dans l'Odyssée (NDT : on trouvera ici une explication à cette description ; par ailleurs, on pensera au sang du Christ et à la parodie de messe de Mulligan). C'est encore un de ces moments où je me demande si Joyce ne laisse pas un indice bien visible à ses lecteurs : "Hé ! C'est l'Odyssée ! Important !" Nous connaissons désormais l'importance de l'Odyssée pour ce roman, quatre-vingts ans après sa parution, mais ce genre d'indices a dû être utile en son temps, pour les premiers lecteurs.

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