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01/04/2013

Télémaque (16)

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Source : http://ulyssesseen.com

"Qui a choisi ce visage pour moi ?"

Bonne question, qui nous renvoie aux souvenirs que Stephen a de sa mère, à l'image de la baie, au rasoir. Stephen lance une question métaphysique sur ses origines, mais il réfléchit aussi à son identité : est-ce le visage de sa mère, de son père ? a-t-il une tête d'Irlandais, de catholique, de poète ?

L'une des possibles grilles de lecture d'Ulysse est la quête d'identité, ou la façon dont les gens se définissent eux-mêmes. Quelques-uns des personnages les plus médiocres de ce livre savent intuitivement qui ils sont, tandis que parmi les meilleurs, certains n'en ont pas la moindre idée, à l'instar de Stephen.

Ce passage me fait penser à la chanson des Talking Heads "Seen and not seen" ["Vu et inaperçu"] : "Il verrait des visages dans des films, à la télé, dans des magazines et dans des livres..."

16/03/2013

Télémaque (15)

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Source : http://ulyssesseen.com

Ici, Mulligan souffle le chaud et le froid sans ménagement pour Stephen. Il se montre tour à tour généreux et condescendant, admiratif et incroyablement méprisant, charmant et insupportable.

Ce qui me frappe en lisant ce passage, c'est le jeu subtil de Mulligan jouant les grands seigneurs avec Stephen. Le terme de "factotum" peut être interprété de différentes manières, comme on le verra encore mieux dans l'épisode Protée, mais il signifie à tout le moins "sous-fifre" voire "larbin" (NDT : notons aussi le jeu de mots entre "dogsbody" et "God's body", par allusion à l'Eucharistie dont une parodie inaugure le roman). Mulligan taquine aussi Stephen avec ses pantalons de "seconde jambe" (NTD : de seconde main, d'occasion), son sens déplacé du protocole, allant jusqu'à lui faire don de ses propres vieux vêtements. On apprendra un peu plus loin qu'il porte déjà les bottes de Mulligan. ("Poxy bowsy" est répertorié dans le glossaire de Gifford, et désigne à l'origine les petits voyous).

Stephen insiste assez lourdement sur le fait qu'il ne peut porter de pantalons gris. Le glossaire de Gifford est très utile pour le comprendre : comme pour beaucoup d'autres entrées, il nous "rappelle" des choses que nous ne savons pas encore, comme par exemple que la mère de Stephen est morte le 23 juin 1903, soit presque un an avant... bien qu'il nous faudra encore parcourir une centaine de pages pour découvrir que nous sommes le 16 juin 1904. Gifford observe que, selon les plus strictes règles du deuil de l'époque victorienne, un fils ne doit porter que du noir pendant un an après la mort de sa mère, ainsi Stephen se trouve-t-il dans cette période de deuil. Mulligan ironise sur le respect scrupuleux de ce protocole vestimentaire par Stephen, face au traitement cruel qu'il a infligé à sa mère, mais cela ne nous rend pas Mulligan plus sympathique pour autant.

Petit détail : si vous suivez le texte dans la version éditée chez Gabler, vous constaterez que plusieurs paroles prononcées par Mulligan sont suivies d'un point d'exclamation (larbin ! dément ! affreux barde !). Ce qui fait de lui un type assez braillard. Les points d'exclamation apparaissent dans le manuscrit du musée Rosenbach mais pas dans l'édition de 1922. Or, c'est celle-ci que nous utilisons. Ajoutez-les si cela vous chante.

Petit compliment : Rob, j'aime le jeu du miroir manipulé par Mulligan.

Et maintenant, dites-moi :

1. Nous nous sommes demandé à quoi devait ressembler le miroir. Quelqu'un a-t-il une idée de l'aspect d'un miroir fêlé appartenant à un domestique ? Merci de nous proposer un lien vers une image.

2. Au sujet de ce larbin : en quoi cela importe-t-il, étant donné les sujets abordés dans ce chapitre, que Mulligan parle de l'apparence physique de Stephen ?

3. Pourquoi est-il si important que Stephen mette tant de zèle à respecter le protocole de deuil ? Pourriez-vous répondre à cette question en établissant un parallèle avec Hamlet ou L'Odyssée ?

27/01/2013

Télémaque (14)

littérature, roman, illustration, irlande, dublin, james joyce, ulysse
Source : http://ulyssesseen.com

Stephen vient d'être accusé par Mulligan de davantage simuler que ressentir son chagrin, et d'être "le plus séduisant de tous les baladins" en portant ostensiblement le deuil de sa mère, mais tout en ayant refusé de respecter les dernières volontés de celle-ci, à l'article de la mort. Stephen ne mord pas à l'hameçon et continue comme si de rien n'était.

Ce sont les premières pages où l'on voit le monologue intérieur de Stephen placé dans un contexte d'événements externes. Il se souvient d'un rêve fait peu de temps après la mort de sa mère, où elle lui était apparue comme un fantôme (vous vous souvenez d'Hamlet ? on l'a enfin, notre fantôme !). Nous verrons différentes versions de ce rêve tout au long du roman. Pour l'instant, deux ou trois choses me sautent aux yeux... Premièrement, notez l'insistance sur les odeurs. Joyce est l'un des grands écrivains sur le sujet... l'expression "cendres humides" m'a toujours frappé par son étonnante précision dans la description de cette odeur familière. Deuxièmement, le vert de la bile et le vert de la baie... peu de temps auparavant ce passage, Mulligan suggérait que le "vert pituite" soit utilisé comme nouvelle nuance dans l'art irlandais. On devine ici ce qu'en pense Stephen.

Enfin, remarquez quelle posture Rob a donnée à Stephen. Joyce écrit que Stephen se tient le front dans la paume de la main, mais Rob a insisté sur la manière dont Stephen contemple la baie par-delà "le bord effrangé de sa manche", un petit chef-d'œuvre dans l'art du cadrage.

Cher lecteur, je vous invite à reparler de :
- couleur verte ;
- parallaxe et cadrage visuel ;
- fantômes ;
- maternité.