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30/08/2012

Télémaque (13)

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Source : http://ulyssesseen.com

Que veut dire Mulligan lorsqu'il appelle Stephen "séduisant baladin" ? Ici à Philadelphie [NDT : siège des éditions Throwaway Horse], capitale mondiale de la mascarade, on ne peut que penser à ça.

Hélas, ce n'est probablement pas ce que Mulligan a en tête. Il insinue plutôt que Stephen se travestit pour paraître ce qu'il n'est pas. 

La coutume de la mascarade est arrivée à Philadelphie de beaucoup d'endroits, mais principalement d'Irlande et des autres contrées celtiques. Traditionnellement, à l'approche des fêtes de fin d'année, une bande d'hommes déguisés allait de maison en maison, non pour récolter les bonbons comme pendant Halloween, mais carrément pour picoler. Cela pourrait faire partie d'un spectacle, il est question de déguisement et d'une certaine sorte de distraction, avec ce que peut avoir de "sinistre", comme dit Mulligan, le fait de recevoir chez soi ce genre de visiteurs...

Et à propos de "sinistre", voilà une autre question lancée à la cantonnade : Joyce écrivait-il de la senestre ? Stephen, d'après nombre de références dans ce livre, semble être gaucher. Et Shem the Penman, l'avatar de Joyce dans Finnegan's Wake, l'est assurément. Bien entendu, même si Joyce y avait été enclin, aucune école d'Irlande ne lui aurait vraiment permis d'écrire de cette manière...

25/08/2012

Télémaque (12)

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Source : http://ulyssesseen.com

Nous avons là un aperçu important de la personnalité de Stephen, en apprenant qu'il a refusé de prier pour sa mère au chevet de son lit de mort. Quel genre de trouduc faut-il être pour ne pas répondre au souhait de sa mère mourante, lorsqu'elle demande de l'accompagner dans ses prières ? Vaste sujet.

Je veux dire que oui, Stephen est un Artiste d'une Profonde Intégrité, qui ne peut faire de compromis entre sa croyance et son impiété. Et que oui, nous sommes amenés à le voir comme un proche parent de Hamlet, de Télémaque, et de tous ceux qui s'enrégimentent pour changer de vie, en garçons qui cherchent à devenir des hommes. Et je pense même que nous sommes supposés éprouver de la pitié, et pas qu'un peu, pour ce Stephen si aliéné par son comportement extrême.

Mulligan qualifie Stephen et lui-même d'Hyperboréens. Qu'est-ce que ça signifie ? Gifford nous donne les éléments de base pour comprendre : c'est une allusion classique à une sorte de race supérieure, juvénile et parfaite, qui vivait aux confins de la Terre. Plus précisément, Gifford fait référence à Nietzsche dans un passage de « La Volonté de puissance », où les Surhommes sont décrits comme des Hyperboréens, vivant par-delà les contraintes des conventions morales, et plus spécialement de la morale chrétienne.

Quelqu'un ici a-t-il quelque chose à ajouter sur les Hyperboréens ? Ou bien à propos du refus de Stephen de se soumettre, et de ce qu'il faut en penser ?

J'aime la vignette au bas de cette planche... Mulligan, imposant et bien replet, est superbement cadré et représenté comme s'il allait se mettre à lancer des rayons lasers avec ses mains. Ce qui donnerait quelque chose d'intéressant. Cette pose, cette posture, ce cadrage, tout cela est à l'unisson avec l'autorité de la critique parfaitement légitime de Mulligan à l'égard de Stephen. Et Stephen le sait bien, mais il s'en fiche.

11/08/2012

Télémaque (11)

 littérature,roman,illustration,irlande,dublin,james joyce,ulysse
Source : http://ulyssesseen.com

Voici quelques instants, Mulligan citait Swinburne en évoquant la mer comme notre « grande et douce mer ». Il se rapproche de George William Russell, alias Æ, qui parlait souvent de la nature comme de La Puissante Mère. Russell était une figure littéraire prééminente de Dublin au tournant du siècle, et en 1904 il fut le premier à publier une nouvelle de Joyce – dans le journal The Irish Homestead (Le Domaine irlandais) dont il était l'éditeur. Russell joue un grand rôle dans l'épisode 9 Scylla et Charybde, et nous en dirons certainement davantage lorsque nous aborderons ce passage.

Pour en revenir à l'épisode Télémaque, la remarque de Mulligan mènera dans un moment à une discussion sur la mort de la mère de Stephen. Il y a beaucoup à dire à propos des rôles différents que jouent mères et pères dans le monde de Joyce – en particulier dans l'épisode 9. Pour être bref, les mères y sont associées à l'ultime, l'indéniable Vérité, une Vérité par-delà le langage. Disons, sous forme de paraphrase, qu'il se pourrait qu'elles soient la seule chose véritable de la vie. Tandis que la paternité, elle, est incertaine, surtout à une époque où les tests génétiques n'existent pas encore. Cette incertitude crée un insupportable vide, qui doit être comblé par des convictions établies par la loi et le verbe. Dans Scylla, Stephen dit de la paternité qu'il s'agit d'une « fiction légale » (et il faudrait insister ici autant sur l'importance de l'aspect fictif que de l'aspect légal). L'on devrait aussi repenser à Hamlet, encore et toujours !