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14/03/2010

Télémaque (3)

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Source : http://ulyssesseen.com

Un gars un peu rondouillard apporte un bol en haut d'une tour. Ainsi commence le plus important roman du 20ème siècle. Une cérémonie incantatoire est sur le point de se tenir.
Ce n'est pas le héros principal, mais un personnage secondaire dont c'est la scène la plus importante. Il est inspiré d’une des réelles connaissances de Joyce, Oliver St John Gogarty, un physicien et écrivain qui, par la suite, deviendra sénateur de l’Etat libre d’Irlande. En 1904, il loua une fortification militaire abandonnée à l’extérieur de la ville, dans laquelle il vécut et tint salon pendant plus de vingt ans. Joyce y séjourna mais seulement pendant une semaine, en septembre 1904.
C’est une évidence : il est peu commode de vivre dans une fortification de l’époque napoléonienne sans chauffage, à une douzaine de kilomètres du centre-ville, à vol d’oiseau. C’est typiquement le genre de décision que peut prendre une bande de jeunes de vingt ans. Avant d’avoir une petite amie. Ou un petit copain. Mulligan vit pleinement son rêve, tirant le meilleur parti de sa tour en bord de mer - ou du moins essaye-t-il.
Et chose encore plus évidente : c’est pour une raison pratique que Mulligan monte au sommet de la tour pour se raser. Les pièces à vivre sont sombres et enfumées, sans parler de l’odeur prenante d’un Dedalus à l’hygiène douteuse (nous en reparlerons plus tard) mêlée à celle d’un Anglais endormi.

La scène, telle que représentée par Robert Berry (Rob), nous donne une curieuse vue panoramique embrassant deux informations importantes : a) nous sommes au milieu de nulle part ; b) Mulligan se lance dans un spectacle sans public. Pour lui, il est insupportable de ne pas avoir de public, si bien qu’il ne tarde pas à ordonner à Stephen Dedalus de lui servir d’enfant de chœur pour sa messe de rasage un peu perverse. Rob dresse, sur toute la hauteur de la page, un gigantesque S, rappelant celui de la première édition américaine d’Ulysse chez Random House. Certains spécialistes avancent que le livre commence par ce S pour signifier que Stephen est au centre des premiers chapitres… Nous nous contenterons d’en admirer l’effet, dans sa dimension épique.

J’ai toujours pensé que Mulligan faisant l’objet d’injustes critiques, et je (NDT : Mike Barsanti) m’identifie à lui d’une certaine manière. Ici, au lever du jour, il semble avoir la parole facile et être un peu condescendant, mais plus sensible que Stephen. Et puis il est amusant, majestueux et… rondouillard.

Nous sommes sur le point de faire la connaissance de Stephen, maigrichon et anxieux. Si on faisait passer une audition pour jouer le rôle de Mulligan, on aurait besoin d’un acteur du genre à en faire un peu trop, doté d’un soupçon de malice et d’un esprit aiguisé, un peu aristocratique, un peu bedonnant, qui ne contrôle pas tout à fait ses appétits mais ne s’en porte pas plus mal, peut-être une sorte de jeune John Malkovitch ?

19/02/2010

Télémaque (2)

littérature,roman,illustration,irlande,dublin,james joyce,ulysse

Source : http://ulyssesseen.com

Voilà ce que l’on appelle, en jargon cinématographique, un plan de situation. Il montre le point de départ de l’histoire : une petite tour ronde surplombant la mer.

La tour porte le nom de tour Martello. Cet endroit existe vraiment, et Joyce y a réellement séjourné environ une semaine, en septembre 1904. De telles tours furent érigées au début du 19ème siècle par les Britanniques, qui craignaient une invasion française en Irlande. Cette tour Martello abrite aujourd’hui le Musée James Joyce, dirigé par un type merveilleux, Robert Nicholson. (Au fait, si vous allez à Dublin et demandez à voir la tour Martello, on va vous regarder avec de grands yeux tout ronds. Il y a beaucoup de tours Martello le long des côtes irlandaises, surtout au sud-est. De même, ne confondez pas le Musée James Joyce avec le Centre James Joyce. Le premier, c’est la tour. Le second est situé en ville, et propose un programme plus étoffé et davantage d’activités).

Quand, pour la première fois, j'ai vu la tour sur une image, j'ai été surpris par son aspect trapu. Moins phallique qu'il n'y paraît, mais non sans rapport avec un certain phénomène physiologique.

Si vous avez la chance d’aller au Musée Joyce et de pouvoir profiter du panorama depuis le sommet de la tour, vous remarquerez la vue très vaste que l’on a sur Dun Laoghaire (prononcer "Deunliri"), à la fois principal terminal de ferry pour Dublin et premier point de départ à destination de toute l’Irlande comme de l’étranger. Cette sorte de château dominant la mer évoque Hamlet ; avec sa vue sur un port, qui permet de quitter une île, L’Odyssée. Cet endroit est à la fois lié à un épisode de la vie de Joyce, et à un moment particulier de l’histoire de l’Irlande. Une parfaite superposition "surdéterminée" de multiples strates personnelles, littéraires, historiques… et cela avant même d’avoir évoqué les aspects religieux… et nous ne faisons que commencer !

06/02/2010

Télémaque (introduction)

littérature, roman, illustration, irlande, dublin, james joyce, ulysse

source : http://ulyssesseen.com

Si vous connaissez un tant soit peu Ulysse, vous n'êtes pas sans savoir qu'il présente une forte ressemblance avec L'Odyssée d'Homère. Joyce transpose les éléments de l'antique récit dans le Dublin de 1904, par une chaude journée de juin. Télémaque est le fils d'Odysséus (Ulysse, en version latine) et, à sa rencontre, vous le verrez tenter désespérément quelque chose contre la horde de prétendants au mariage avec sa mère, tous également désireux de le déposséder de sa demeure. Il n'a aucun souvenir de son père, parti depuis longtemps.

Au premier abord du roman de Joyce, rien ne vous indiquera que le premier épisode s'intitule Télémaque (ni que l'action se déroule le 16 juin 1904, dès 8h00 du matin, et que c'est un jeudi. Il faut parcourir des centaines de pages pour s'en rendre compte. Mais nous, on vous le sert sur un plateau !).

Le nom de Télémaque n'apparaît nulle part dans le livre. Cependant, Joyce avait choisi des titres homériques pour chacun des dix-huit épisodes, et les utilisait régulièrement en parlant de son livre avec ses amis. En 1920, il bâtit une "grille" pour son ami écrivain et critique Carlo Linati, grille rapidement devenue le premier de nombreux outils de lecture du livre.