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27/01/2013

Télémaque (14)

littérature, roman, illustration, irlande, dublin, james joyce, ulysse
Source : http://ulyssesseen.com

Stephen vient d'être accusé par Mulligan de davantage simuler que ressentir son chagrin, et d'être "le plus séduisant de tous les baladins" en portant ostensiblement le deuil de sa mère, mais tout en ayant refusé de respecter les dernières volontés de celle-ci, à l'article de la mort. Stephen ne mord pas à l'hameçon et continue comme si de rien n'était.

Ce sont les premières pages où l'on voit le monologue intérieur de Stephen placé dans un contexte d'événements externes. Il se souvient d'un rêve fait peu de temps après la mort de sa mère, où elle lui était apparue comme un fantôme (vous vous souvenez d'Hamlet ? on l'a enfin, notre fantôme !). Nous verrons différentes versions de ce rêve tout au long du roman. Pour l'instant, deux ou trois choses me sautent aux yeux... Premièrement, notez l'insistance sur les odeurs. Joyce est l'un des grands écrivains sur le sujet... l'expression "cendres humides" m'a toujours frappé par son étonnante précision dans la description de cette odeur familière. Deuxièmement, le vert de la bile et le vert de la baie... peu de temps auparavant ce passage, Mulligan suggérait que le "vert pituite" soit utilisé comme nouvelle nuance dans l'art irlandais. On devine ici ce qu'en pense Stephen.

Enfin, remarquez quelle posture Rob a donnée à Stephen. Joyce écrit que Stephen se tient le front dans la paume de la main, mais Rob a insisté sur la manière dont Stephen contemple la baie par-delà "le bord effrangé de sa manche", un petit chef-d'œuvre dans l'art du cadrage.

Cher lecteur, je vous invite à reparler de :
- couleur verte ;
- parallaxe et cadrage visuel ;
- fantômes ;
- maternité.

30/08/2012

Télémaque (13)

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Source : http://ulyssesseen.com

Que veut dire Mulligan lorsqu'il appelle Stephen "séduisant baladin" ? Ici à Philadelphie [NDT : siège des éditions Throwaway Horse], capitale mondiale de la mascarade, on ne peut que penser à ça.

Hélas, ce n'est probablement pas ce que Mulligan a en tête. Il insinue plutôt que Stephen se travestit pour paraître ce qu'il n'est pas. 

La coutume de la mascarade est arrivée à Philadelphie de beaucoup d'endroits, mais principalement d'Irlande et des autres contrées celtiques. Traditionnellement, à l'approche des fêtes de fin d'année, une bande d'hommes déguisés allait de maison en maison, non pour récolter les bonbons comme pendant Halloween, mais carrément pour picoler. Cela pourrait faire partie d'un spectacle, il est question de déguisement et d'une certaine sorte de distraction, avec ce que peut avoir de "sinistre", comme dit Mulligan, le fait de recevoir chez soi ce genre de visiteurs...

Et à propos de "sinistre", voilà une autre question lancée à la cantonnade : Joyce écrivait-il de la senestre ? Stephen, d'après nombre de références dans ce livre, semble être gaucher. Et Shem the Penman, l'avatar de Joyce dans Finnegan's Wake, l'est assurément. Bien entendu, même si Joyce y avait été enclin, aucune école d'Irlande ne lui aurait vraiment permis d'écrire de cette manière...

25/08/2012

Télémaque (12)

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Source : http://ulyssesseen.com

Nous avons là un aperçu important de la personnalité de Stephen, en apprenant qu'il a refusé de prier pour sa mère au chevet de son lit de mort. Quel genre de trouduc faut-il être pour ne pas répondre au souhait de sa mère mourante, lorsqu'elle demande de l'accompagner dans ses prières ? Vaste sujet.

Je veux dire que oui, Stephen est un Artiste d'une Profonde Intégrité, qui ne peut faire de compromis entre sa croyance et son impiété. Et que oui, nous sommes amenés à le voir comme un proche parent de Hamlet, de Télémaque, et de tous ceux qui s'enrégimentent pour changer de vie, en garçons qui cherchent à devenir des hommes. Et je pense même que nous sommes supposés éprouver de la pitié, et pas qu'un peu, pour ce Stephen si aliéné par son comportement extrême.

Mulligan qualifie Stephen et lui-même d'Hyperboréens. Qu'est-ce que ça signifie ? Gifford nous donne les éléments de base pour comprendre : c'est une allusion classique à une sorte de race supérieure, juvénile et parfaite, qui vivait aux confins de la Terre. Plus précisément, Gifford fait référence à Nietzsche dans un passage de « La Volonté de puissance », où les Surhommes sont décrits comme des Hyperboréens, vivant par-delà les contraintes des conventions morales, et plus spécialement de la morale chrétienne.

Quelqu'un ici a-t-il quelque chose à ajouter sur les Hyperboréens ? Ou bien à propos du refus de Stephen de se soumettre, et de ce qu'il faut en penser ?

J'aime la vignette au bas de cette planche... Mulligan, imposant et bien replet, est superbement cadré et représenté comme s'il allait se mettre à lancer des rayons lasers avec ses mains. Ce qui donnerait quelque chose d'intéressant. Cette pose, cette posture, ce cadrage, tout cela est à l'unisson avec l'autorité de la critique parfaitement légitime de Mulligan à l'égard de Stephen. Et Stephen le sait bien, mais il s'en fiche.